Séance du Lendemain à Cannes, d'un film dont on ne se méfiait absolument pas en cette compétition, programmé sur l'heure du midi (pas forcément le meilleur créneau), dont le résumé-même de "film de procès" nous blasait d'emblée ("encore ?!"). Eh bien, la chute, c'est nous qui l'avons faite en premier. Que l'on évoque le jeu fascinant de maîtrise de Sandra Hüller (celle qui aurait mérité la Palme d'interprétation féminine) toujours sur le fil du rasoir (mère meurtrie, ou manipulatrice experte ? Insondable...), les arguments tous plus sensationnels qui s'enchaînent (des sophismes, des absurdités, des secrets de famille jetés en pâture au tribunal : on suit la joute orale avec avidité), le brillant Milo Machado Graner (qui nous brise le cœur en deux secondes en voyant la détresse dans laquelle se trouve cet enfant), le délicieusement abject avocat joué par Antoine Reinartz (qui coupe la parole au petit, parle avec agressivité, enchaîne les arguments fallacieux, ne juge absolument pas les faits mais les mœurs de cette femme : on rêve de l'étouffer avec sa robe, chapeau à l'acteur), le touchant avocat de Swann Arlaud (à qui ce dernier insuffle beaucoup de douceur), et quelques notes de légèreté inattendues. Sans rien dévoiler, après l'un des témoignages du petit, on revient sur la tronche défaite de la Juge... Hilarité dans la salle, une salve d'applaudissements se fait entendre en plein film : la dernière fois qu'on l'avait vu faire, c'était pour Parasite... C'est à ce moment précis qu'on a misé (envers et contre tous) que cet Anatomie repartirait avec la Palme d'Or. Qu'on pense au jeu passionné de ses acteurs, à l'état de perdition du spectateur qui cherche à faire justice par lui-même (et ne sait même pas s'il a envie de condamner cette femme : on ne sait pas, on cogite, on n'est pas d'accord avec nous-même, le film - et le jeu insaisissable de Hüller - nous pousse à revoir notre avis toutes les deux minutes, une réussite), et à ce choix judicieux de musique (pour ceux qui ne l'ont pas : c'est PIMP de 50Cent, dont on comprend tardivement qu'elle a été choisie par le mari car il s'agit de l'histoire d'un proxénète...
ce qu'il accuse sa femme d'être, ayant "volé" son idée de roman pour se faire de l'argent, et ayant une sexualité libérée qui ne lui convient pas...
). Anatomie d'une chute s'attèle davantage à nous faire ressentir les psychologies des personnages plutôt que d'exposer des indices factuels trop faciles à interpréter, il nous considère en tant que spectateur, nous croit capable de cogiter pour décrypter, comme des grands, cet imbroglio. Adieu manichéisme des films de procès faciles, la finesse absolue de cet Anatomie est de nous fasciner par notre propre incapacité à savoir ce que l'on pense, à la manière d'un Douze Hommes en colère (oui, on ose) qui adore nous retourner la tête en compagnie de personnages forts. On est tombé...sous le charme.