Kevin Mc Donald nous sert un doc à la fois efficace et énervant, trop soumis à l'exercice de l'hommage forcé. La Jamaïque est célèbre pour son apôtre du mouvement rastafari Bob Marley mais aussi pour sa religion très ancrée et pour son homophobie instituée, un racisme qui semble aller de pair... Alors qu'en 2012 le pays s'apprête à devenir une République hors Commonwealth, sous un PNP dirigé par une femme, on pourrait espérer que la situation évolue dans un meilleur sens. La prégnance des croyances irrationnelles, véhiculées par les diverses religions locales chrétiennes, contribue à s'y opposer. Dans un tel pays, hyper violent, englué dans des histoires de trafic, de haines politiques et de corruption, on fabrique encore des racismes et des boucs-émissaires. L'origine britannique des lois sexistes devrait conduire les Jamaïcains à les rejeter, or c'est sans compter l'influence rasta du style de vie livitique, basée sur le Lévitique, texte qui comporte des ordres patriarcaux ultra haineux. Comment s'étonner ensuite que le message soi-disant pacifique du rasta n'ait jamais réussi à se concrétiser! On trouve encore des chanteurs de reggae (tels Buju Banton, Beenie Man) aux ahurrissantes paroles anti-homos et super binaires, qui appellent au lynchage. On est bien loin de l'idée de non-violence. Bob Marley fut un artiste très croyant, aux accents prophétiques, et il est dommage qu'il soit accoudé à des obscurantismes religieux, même si la spiritualité rastafarienne se prétend éminemment pacifique et opposée aux manipulations des politiques et du système. Dans les années 1970, il a soutenu la propagation des idées évangélistes issue de la version amharique de la Bible, le mouvement rastafari, né dans les années 1930. À travers le reggae, il se fait alors messager rasta. Le voir invoquer à répétition Dieu et Salassié dans le montage ne manquera pas d'irriter les athées et autres esprits anarchistes. Le côté plus sympa, c'est le végétarisme voire veganisme, en fait dit régime Ital, et le refus de l'alcool, liés au vœu de Nazarite; sans oublier les dreads, qui sont aux fidèles de rasta ce que la crête est aux punks. Le parcours du musicien entre en écho avec l'histoire jamaïcainne: il a démarré dans la musique l'année de l'indépendance du pays et il a fondé son label indé l'année de la visite de l'empereur d’Éthiopie Hailé Sélassié. Même après son assassinat en 1975 par la dictature militaire, ce personnage littéralement divinisé, «Roi des rois», fit l'objet d'une adoration excentrique. En exploitant des textes de la Bible, on l'a considéré comme une sorte de Messie et parce qu'Afrique s'écrit Aethiopia, on a prit l'Ethiopie pour «Zion» ou la terre promise. Bob Marley adhéra complètement à cette vision, en phase avec cette adulation du «Jah» (Jéhovah), et le reggae s'est alors fait propagateur du message. Le documentaire le fait bien entendu apparaître, mais n'y apporte aucun éclairage historique ni relativisme culturel ni discours critique. Il aurait pu parler de l'influence déterminante de Percival Howell (décédé juste avant Marley et proche de l'escroc Marcus Garvey, lui-même proche du KKK), qui encensa le roi d'Éthiopie et rejeta le roi d'Angleterre dès 1933. Si Sélassié avait le mérite de défendre la non-violence, lui-même n'était pas Rasta mais chrétien orthodoxe. puisAujourd'hui, l'Ethiopie bafoue encore les droits de l'Homme. Et voilà que Marley et les Wailers, illusionnés par leur coryances, sont allé chanter leur message de liberté à l'intronisation du futur dictateur zimbabwéen et raciste anti-blanc et anti-homo Robert Mugabe: quel aveuglement et quelle compromission! Sans parler de sa liaison avec la fille du dictateur Omar Bongo. Pas un mot sur l'ironie de l'histoire! Hommage (auto-censuré) oblige. En outre, Bob le métis porte en lui une contradiction: ses ancêtres, les grand-parents Marley, sont issus d'une famille juive syrienne d'extraction bourgeoise, qui a profité de l'empire britannique, alors que les Rastafariens rejettent le monde occidental à travers l'image de Babylone. Quelle ironie quand on sait qu'une part de ses ancêtres vient du pays de Babylone. Ses origines à peau claire ont malheureusement joué dans ce qui a causé sa mort. Parce qu'il refuse la mise à distance, ce film en reste à l'exécution de commande. Les images de lives, la playlist (une soixantaine d'extraits musicaux), certains passages vivants apportent une certaine respiration; l'ensemble reste cependant super classique, sans toutefois trop générer l'ennui, grâce à d'élégants enchaînements et à un apport informatif soutenu. Les témoignages de ses proches, de ceux qui, encore vivants, l'ont connu, souffrent d'un faible relief; effet convenu. Par ses non-dits et par son conformisme étroit soumis à la vénération forcée, ce documentaire de bonne facture ne manque pas d'irriter. Bob Marley ressemble un petit génie illuminé qui n'aura pas changé le monde. Restent ses tubes.